Faisant suite à l’article paru dans le bulletin de la SAHS d’octobre 2005 sur les Ateliers MELIN, le texte qui va suivre a été conçu à partir du rapport d’un élève de l’ école HEC ( M. Jacques DUBOIS) en stage aux ateliers MELIN en 1946. Il a été complété par des articles de journaux des années d’avant et après la 2ème guerre mondiale et surtout par les témoignages recueillis en 2005 auprès de plusieurs anciens employés ou enfants de ceux-ci .
L’importance de la fonction sociale dans l'entreprise fut comprise aux ATELIERS MELIN dès les années qui ont succédé au front populaire.
"Toute usine, toute maison de commerce, sont principalement des fabriques d'hommes".
Bien des chefs d'entreprise, étaient loin d'être pénétrés par cette idée à cette époque.
Un parallèle venait alors à l'esprit entre ce que nous appellerons par analogie "le rôle social du chef d'entreprise et le "rôle social de l'officier" dont l'idée fit sensation dans le monde militaire.
Les traditionalistes routiniers de l'époque jugèrent pour le moins révolutionnaire cette affirmation de la primauté du rôle d'éducateur de l'officier sur son rôle d'instructeur militaire.
Il sembla également prématuré voir intempestif pour certains chefs d'entreprise d'accepter l’idée émise alors par M.Joseph WILBOIS (1) que "dans une fabrique de meubles ou de vêtements les robes et les tables ne sont que des prétextes ; le but méconnu mais véritable est la formation des ouvriers".
Pourtant, Il semble qu'aux ATELIERS MELIN on ait compris ce rôle social du Chef. Rien ne fut négligé pour faire que ce rôle soit rempli aussi complètement que possible.
Il fallu pour cela et avant tout supprimer toutes les barrières entre patron, chefs de services et ouvriers, abattre les cloisons étanches entre les différents services et enfin rechercher ce fameux dénominateur commun de Lyautey (référence de l'époque) sur lequel on construira l'esprit d'équipe : "Il n'est qu'un moyen de s'entendre, c'est de se connaître et de se voir".
EDOUARD MELIN qui dirigea l'entreprise près de 37 ans le comprit fort bien, lui que tous ses ouvriers appelaient dans un mélange de familiarité et avec affection : « Monsieur EDOUARD ».
Dans un article du "Mélinois" le périodique de la maison, un nouveau venu aux ATELIERS MELIN décrivait de la façon suivante l'atmosphère de la maison. "Pour ceux qui y entrent, MELIN est un nom qui disparaît pour faire place à un prénom, quelqu'un avec un coeur, épaulé par des hommes de valeur; une entreprise qui a une âme collective, des traditions s'alliant harmonieusement à des innovations"
Quels étaient les supports de cet esprit Mélinois ?
D'abord son créateur EDOUARD MELIN qui savait multiplier les occasions d'être au milieu de ses ouvriers, de leur parler simplement, en camarade.
C'est ensuite l'Amicale qui regroupait tous les Mélinois en une œuvre d’entraide : caisse mutuelle de secours, organisation de petites fêtes réunissant dans une même ambiance fraternelle employés, ouvriers et leurs familles, patronage, coopérative etc...
Ce fut la mise en place de certaines innovations sociales tel « Le bon de travail MELIN ou MEL» les porteurs de ces bons pouvaient les échanger à l'intérieur de l'entreprise contre de l’argent.
La création d’un centre de formation utile aux ouvriers, enfants d’ouvriers, mais aussi aux clients de l’époque (formation à la conduite de tracteur, à la mécanique du moteur diesel etc..) en liaison avec des publications aux Editions « LA TERRE LIBERATRICE » fondées par E. MELIN.
LES CONFERENCES DES CHEFS DE SERVICE:
Ces conférences qui réunissaient tous les 15 jours ce qu’on appelle "le comité de Direction" (C.D.D.) étaient plus qu'un instrument d'administration indispensable dans une entreprise géographiquement décentralisée comme celle-ci.
Le patron savait profiter de cette occasion qui réunissait ses principaux collaborateurs pour traiter avec eux de sujets simplement humains sans rapport direct avec le "Service".
C'est ainsi par exemple qu'à chaque séance des analyses de maximes morales ou philosophiques étaient proposées aux membres du C.D.D. Ces analyses étaient lues et discutées en commun au cours de la séance suivante et c'était pour M. EDOUARD, tout en remplissant son rôle d'éducateur, l'occasion d'essayer une fois de plus, de faire partager à ses collaborateurs la foi qui le soutenait dans sa marche vers le but qu'il s'était fixé. La foi dans le succès de son action sociale, la foi dans l'avenir de la maison, la foi dans l'avenir du pays etc...
Bien que ce ne soit pas une obligation édictée par la loi, un délégué du Comité d'entreprise pouvait, avec un stagiaire du Comité des Prix, assister à chaque CDD. Ces deux membres non permanents, chaque fois différents, étaient tenus de rédiger un court rapport dans lequel ils donnaient leurs impressions sur la séance, rapport qui était publié dans le courrier du "Mélinois" périodique de l’entreprise.
LE PERIODIQUE :
De tous les instruments qui contribuaient à élargir les pensées des employés vers l’ensemble de l'entreprise, le périodique de la maison avait son importance.
La parution de ce bulletin que l’on appelait « le courrier du Mélinois » ou plus simplement, « Le Mélinois »était attendue chaque mois avec une Impatience partagée par tous.
Ses colonnes étaient ouvertes à chacun et l’on pouvait y traiter les sujets les plus généraux. Toutefois certaines chroniques étaient obligatoires :
- les informations sociales et familiales qui intéressaient toute la communauté,
-les extraits du procès verbal des séances du Comité d’Entreprise,
-les Informations professionnelles y compris des cours de mécanique,
-le tableau des bonis réalisés par les différentes équipes en application du système de rémunération,
-les rapports des stages effectués à tour de rôle par les ouvriers au Comité des Prix,
-les comptes rendus des représentants des ouvriers au CDD,
-les comptes-rendus de l'activité de l’Amicale, des petites fêtes organisées par elle, de cérémonies officielles,
-les maximes, les petites bandes dessinées et textes humoristiques,
Le patron, enfin, ainsi que les directeurs des succursales et chefs de services ne manquaient pas de profiter de cet excellent moyen qui leur était donné de pouvoir toucher d'un seul coup tous les ouvriers et employés de la Maison. Il était en effet impossible de les réunir tous étant donné leur dispersion géographique. C'était là l'occasion d'articles qui sans se lasser de rappeler chaque fois le but poursuivi faisaient en sorte de persuader chacun d'apporter toutes ses forces à l’œuvre commune pour le bien de tous.
Dans ce bulletin, chacun pouvait donc librement exprimer son opinion, sur tel ou tel point de l’organisation de l'entreprise. Cela permettait ainsi au patron et aux chefs de service de mieux suivre les réactions du personnel et par conséquent de redresser les erreurs de jugement s'il y avait lieu ce qui parait-il étaient assez rare.
Il était beaucoup plus courant, par contre, de trouver dans les articles et les rapports des ouvriers la marque de leur compréhension et de leur sympathie.
Exemple celui - ci qui relate pour ses camarades une séance du C.D.D. à laquelle il avait assisté :
« Je me trouvais bien dépaysé parmi tous les Directeurs, mais M. EDOUARD m’a parlé si amicalement que bientôt j’étais plus à l'aise et j’écoutais avec intérêt les questions traitées. Il conclut plus loin : tous ces échanges de vue entre les gens qui assistaient à cette réunion m’ont beaucoup intéressé et je souhaite à tous mes camarades des divers ateliers qui viendraient ici de pouvoir assister à une séance comme celle- là ».
Cet autre, un tourneur, apporte cette conclusion à son petit rapport : « J'ai l'impression qu'après plusieurs séances comme celle-là et en suivant bien la marche de la maison, nous arriverions à donner des avis. Je m'attacherai à m'instruire dans le sens favorable maintenant que je sais que notre Chef en tient compte ».
Ces témoignages et combien d'autres encore, librement exprimés, étaient considérés par le chef comme le plus bel encouragement. Il savait qu’il était compris et qu’il serait suivi par quelques-uns sans pour autant être sûr de faire l’unanimité.
Mais il ne suffisait pas d'intéresser les ouvriers à la vie de l'entreprise, il fallait aussi les intéresser à ses résultats financiers. C’est pourquoi M. EDOUARD MELIN institua un nouveau système de rémunération. Son idée partait du principe que les deux aspects de l'intérêt qui pouvait attacher l'ouvrier à l'entreprise soient intimement liés comme ils le sont dans la personne d'un patron. Il avait voulu faire de ses ouvriers des petits patrons, des artisans. Il avait donc créé cette forme originale de rémunération : "l’Artisanat dirigé" (voir article spécifique).